Aussi fou que cela puisse paraître, l'habitude nous rattrape très vite dans n'importe quel mode de vie : se lever à 2h pour le quart de nuit, naviguer et effectuer machinalement les manoeuvres, choisir un mouillage et mettre l'ancre. Après 1 mois et 10 jours, cette mécanique bien huilée commence presque a devenir routine. Même chose pour la vie à bord : tarot/coinche, apéros et tâches ménagères. Vivre ensemble 24h/24 apprendre à bien communiquer et à se connaître...


A Ibiza ou je vous ai laissé, on visite la capitale Eivissa en laissant Estafette au mouillage. Ensuite la traversée jusque la côte espagnole sera malheureusement sans beaucoup de vent, on tire des bords (faire des zig zags pour avancer quand la direction du vent ne nous arrange pas) et allume le moteur quand il le faut... Encore une bonite de pêchée et on arrive à Cartagène et son ambiance bourdonnante, vivante et chaleureuse dans les rues.


A cause du vent qui nous boude il y aura encore quelques arrêts seuls au monde le long de la côte espagnole, proche d'Aguilas (ou on arrive de nuit et fonce dans un filet de pêche posé au milieu du mouillage) et d'Agua Amarga.

On passe Cabo de Gata et ses vents et marées capricieux : la mer y est encore plus vivante et impressionante comme toujours l'approche de grands caps. Un changement soudain du vent déchire notre spi (voile légère et généralement colorée hissée par vent pas trop fort quand on va dans le sens du vent). C'est la qu'on doit exercer ce muscle qui est parmi les plus importants dans la vie (en voyage ou non) : bien prendre les galères, savoir rebondir et prendre avec humour et philosophie les imprévus, avec contre mauvaise fortune bon coeur. Après tout c'est pour ce genre de spontanéité et surprises qu'on est tous partis.

Grace a cette galère on s'arrête à Almeria et on y rencontre Paulette, catamaran basque qui s'arrête aussi en catastrophe a cause d'une blessure d'un equipier. On rencontre aussi Bruno, franco-espagnol qui tient une voilerie et qui déboule dès le lendemain matin. Super arrangeant, il peut réparer le spi mais vend plutôt un autre d'occas pas trop cher à Paul et Flavie (celui déchiré est trop vieux et fragile).

On repart ainsi dès le lendemain, avec un nouveau spi coloré très photogénique !


La faune pour ce chapitre a été des plus riches : en plus de la pêche de 2 maquereaux, on voit une quantité innombrable de dauphins, globicéphales noirs (gros cétacés impressionnants), poissons volants (réveillés de nuit avec la frontale, ces derniers ressemblent à des petits anges), poulpe (au mouillage), petits poissons dont l'oeil rouge luit la nuit a la lumière de la frontale et sautent) et grosse quantité de plancton luminescent bien sur.

Tout cela laisse songeur : autant de vie insufflé par le gros courant de Gibraltar mêlé à tout ce plastique flottant, en partie issu de la "mer de plastique" de serres autour d'Almeria qui nourrissent en légumes toute l'Europe. Comme ces espèces rares de fous (oiseaux marins) magnifiques qui doivent serpenter pour éviter les cargos (qui apportent probablement nos cadeaux de Noël) et pétroliers gros comme des barres d'immeubles.

Le clou du spectacle de la faune aquatique est aussi le plus beau spectacle de ma vie : des dauphins viennent nous voir de nuit, illuminés en nageant par le plancton. Le résultat est une sorte d'étoile filante dans l'eau, une gaine étincelante de petites pépites de lumière qui épousent parfaitement la forme élégante et éfilée du dauphin en chasse. Féerique.


L'arrivée a Gibraltar ne manque pas de surprendre : un étonnant rocher sorti de la brume arbore l'Union Jack au milieu de l'espagne, où les gens n'hésitent pas à prendre des cafe con leche dans des fish and chips à toute heure. Seule attraction touristique : une réserve naturelle pleine de macaques, en face d'un immense port pétrolier et au dessus d'immeubles.

Je suis bien content de retrouver les tapas andalouses (côté espagnol, à la Linea de la Concepcion) et la bouillonnante vie dans la rue, brouhaha festif et réconfortant après tant de jours isolés. Invités à l'apéro sur Paulette, couple basque qui, à la cinquantaine ont tout plaqué pour vivre sur un voilier et voir ce qui les attend aux Antilles.


On découvre là-bas les bateau-stoppeurs qui nous harcèlent sur internet et sur les pontons. On nous montre aussi "the jungle" : dans un petit bosquet de palmiers proche du port, tous les bateau-stoppeurs dorment en une joyeuse communauté.

Alberto, un italien un peu timide nous parle proche des annexes. On décide sur un coup de tête de l'inviter à l'apéro, dans un joyeux mélange de 4-5 langues. Il n'est jamais monté dans un bateau et a des étoiles dans les yeux en apprennant tout. Il a déjà voyagé de l'Italie jusque l'Inde a vélo, il est très gentil et pratique la kinesiologie (medecine douce et alternative).


Le temps de quelques dernières réparations importantes en attendant le bon créneau d'alizés (vents constants qui circulent en Atlantique) et de visiter le fameux rocher, et c'est le départ à 4 avec Alberto le jour de mon anniversaire.


La traversée de 5 jours permet de vraiment se déconnecter du temps, et se reconnecter à son temps propre paisible au gré de la très longue houle. Des montagnes d'eau de 5 ou 6 mètres nous soulèvent très lentement et nous bercent, alors qu'on longe les côtes Marocaines. Encore quelques bonites sont pêchées mais on les relâche, et des énormes groupes de dauphins jouent avec nous en traversant l'étroit détroit.

Après une première journée molle avec beaucoup de moteur, on commence à toucher les fameux alizés, vents constants qui nous portent sans effort le long du Maroc.

Pendant 2 jours nous seront 5 a bord : Kiki, un petit verdier d'Europe perdu en mer vient se reposer dans le bateau. Il mange les graines qu'on lui donne avec appétit et vient même visiter l'intérieur quand il est moins timide.

Alberto nous aide sur les quarts au bout de 2 jours et apprend très vite.


Quelle émotion de voir la terre à l'horizon après 5 jours sans rien ! On s'arrête au premier mouillage possible à la Graciosa. Le paysage lunaire de ces incongrues îles volcaniques noires, montagneuses et pratiquement sans aucune plante se heurte avec fracas avec l'immense houle et le vent d'Atlantique. Ces éléments puissants crachent des couleurs dans tous les sens, et on se sent tout petit.

Après une rando autour de la Graciosa tout se précipite : encore un apéro sur Paulette et ils conviennent de nous emmener Alberto et moi le lendemain au sud de Lanzarote. On fait donc nos affaires et goûte le temps d'une journée à la navigation beaucoup plus confortable de cet énorme catamaran, et les taloa basques spécialement préparés.

Super échange avec ces âmes bonne vivantes, et ils nous déposent à Playa Blanca.

Je suis alors Alberto qui est au courant des plans de bateau stop et me retrouve dans un bar abandonné bientôt rejoint par une dizaine de jeunes bateau stoppeurs de toutes les nationalités.

On organise vite la vie commune et le ménage de ce nouveau lieu de vie et tout le monde papote et se raconte ses projets.

Tout le monde vise la transat et la majorité cherche à continuer en Amérique du Sud.

On mange beaucoup de récup, on se refile les plans de douche, wifi gratuits, les astuces pour trouver les bateaux. C'est d'une grande solidarité et il y a des super rencontres. Avec quelques français, un belge un allemand et un polonais on va en stop visiter la côte ouest et son hôtel abandonné au milieu de la côte déserte et des piscines naturelles en terrasse au bord de l'eau.


C'est de cette île étonnante de Lanzarote au climat extrêmement clément que je vous écris d'une autre planète, en attendant de trouver une solution pour rejoindre la côte marocaine et entamer la lente remontée vers la maison.