"You will find what you are looking for. The question is, what are you looking for ?"

Cette phrase d'un bateau stoppeur résonne dans ma tête depuis la chambre 407 de mon hôtel a Inezgane. Elle me rappelle que notre volonté est la force la plus puissante qui soit : qu'on désire quelque chose profondément et véritablement, et la vie se chargera du comment. L'important est donc de canaliser et diriger cette volonté !


Après le chapitre 2, j'ai pu passer du temps à me faire de vrais amis au squat des hippies de la mer à côté de la marina de Playa Blanca, Lanzarote. La vie avec ces pirates modernes, ainsi que la visite de l'île m'aident à tromper mon impatience dans l'attente des réponses des rares bateaux à qui je parle sur les pontons, et ceux encore plus rares qui comptent aller au Maroc. J'ai pu donc m'extirper de la forêt d'hôtels restaurants centre commerciaux et touristes anglais quelques fois, pour aller par exemple voir la magnifique plage de Papagayo ou encore explorer en stop et à pied l'incroyable parc national de Timanfaya. Dans ces terres stériles volcaniques, le paysage ressemble plus que jamais à Mars avec la roche volcanique noire, le pyroclaste rouge et les cratères sans vie.

Enfin après l'attente, d'autres belles rencontres !


Toutes nos vies sont une succession de hauts et de bas, de meilleurs et de pires moments. Les meilleurs moment sont notre raison de vivre : ils servent à ne rien regretter en mourant. Et les pires servent à apprendre et avancer. Dans le voyage, ce qu'on recherche vraiment est l'intensification des hauts et des bas. Dans le stop et encore plus le bateau stop, tout cela est encore décuplé !


J'étais donc aux anges d'avoir pu avoir une réponse d'Essentiel, un bateau avec une famille

rencontrée à Gibraltar. Ces Grenoblois naviguent 2 ans en famille jusque la nouvelle Calédonie : Paul et Clémentine (deux médecins) et leurs 3 garçons Paco 12 ans, Malo 10 ans et Nino 8 ans. Ils vont par chance à Dakhla, et ne pensaient pas prendre de gens sur leur bateau mais ont aimé la manière naturelle dont on s'est rencontré.



Ils sont hyper gentils : c'est le début de l'hospitalité marocaine avant l'heure. Ils m'accueillent dans leur petit chez eux, Paco me laisse sa cabine. Leur vie est intense aussi : toujours à jongler entre vie familiale et navigation. Un problème moteur par-ci, du temps de CNED par là ; tantôt il faut réparer une durite avec une chambre à air, tantôt enchaîner sur des points de suture pour Malo qui s'est ouvert la jambe en grimpant de partout sur le bateau.

Je suis témoin de ce joyeux souk à Corralejo (île de Fuerteventura) à l'intérieur de ce touchant cocon familial, et j'aide comme je peux en parlant un peu anglais avec Malo, en aidant aux tâches ménagères. Une fois des grosses courses effectuées, départ musclé avec 30 noeuds de vent (55 km/h) et 2 puis 3 ris (pour les non voileux : façon de réduire la grand voile quand il y a trop de vent), On dit au revoir aux volcans de Fuerteventura dans ces murs d'eau et cette mer déchaînée, et je me rends compte de ma chance d'être aussi résistant au mal de mer car presque tout l'équipage est KO à vomir dans des bassines alors que je n'ai aucun problème. Je peux aussi aider sur les quarts en navigation de nuit et je profite de ces dernières heures volées à la nuit étoilée et planctonnée.


Avec ce vent et ce catamaran ultra rapide, nous voilà vite 2 jours après à Dakhla.

L'arrivée est stressante : le vent est toujours aussi fort et nos cartes marines pour ces côtes sont vieilles et peu précises, on craint les bancs de sables du Sahara. On trouve finalement un chenal bien indiqué et le port nous guide à la VHF (=radio) jusqu'au port de pêche, où ils nous installent entre deux bateaux rouillés.

Une foule d'au moins 11 personnes est là pour nous attendre et faire les formalités administratives : un médecin pour les questions sanitaires, la douane en uniforme, la police la capitainerie etc.

On comprend petit à petit qu'on est le premier bateau à arriver depuis avant le covid !

Les pêcheurs autour (et en particulier Hassan) sont d'une gentillesse et d'une générosité incroyable, ils nous apportent des kilos de poissons, nous payent 2 cartes SIM et nous offrent l'eau pour les douches et des tonnes de fruits et légume. Impossible de les payer, tout est cadeau de bienvenue.

Pendant que Paul attend la réponse d'un contact de la famille royale pour avoir l'autorisation du gouverneur d'aller mouiller plus au nord dans la lagune ou ils pourront faire du kite, on s'active à un rangement/nettoyage énergique de tout le bateau !


Après cela et après un couscous préparé avec des poissons-cadeau, je fais mes au revoirs à tout le monde et traîne mes lourds bagages jusque la ville chaotique et si dépaysante du fin fond du Sahara.

Je prends le choc culturel de plein fouet en essayant de communiquer (presque personne ne parle français dans la rue en dehors des gendarmes) et me déplacer avec tout mon barda. Mais il y a toujours quelqu'un pour m'aider, prendre le taxi avec moi, trouver ou changer mes euros et recharger mon crédit telephone ou m'amener à un "camping" que j'ai repéré sur internet moyennant bien sûr des dirhams. Tout est toujours à négocier et je n'ai pas encore pris le pli, ni les bonnes expressions en arabe marocain : le prix du camping (très glauque) passe de 100 dirhams, à 50 puis cadeau sans aucune raison.


Je pars conquérant le mardi matin, décidé à remonter les 1200 km qui me séparent d'Agadir en stop. En effet je suis arrivé à peine au nord du Tropique du Cancer après presque 2 mois de course vers le sud. Il est maintenant temps de suivre l'autre côté de l'aiguille de la boussole jusque là maison !

Après environ une heure d'attente et de refus, un premier camion me dépose à "kilomètre 40", un croisement au milieu du Sahara pour aller en Mauritanie ou remonter vers le nord.

Le stop est très répandu ici : je désespère presque quand 3 autres personnes viennent, dont une avec une chèvre et qu'il est pris avant moi ! Mais je m'inspire de leur façon de faire et comprends vite qu'ils lèvent ici l'index, pas le pouce et que contrairement à l'Europe les voitures demandent souvent un prix, à négocier comme d'hab.

Je saute donc sur l'occasion quand un camion s'arrête et me propose "4" jusque Laayoune. C'est en fait 400 Dirhams (environ 37 euros) et je négocie maladroitement 400 jusque Agadir directement, où vont Abdourahim le conducteur (qui me dit que je suis le bienvenu chez lui) et Moustapha, l'autre jeune autostoppeur qui est coiffeur à Essaouira.

C'est très cher pour ici, mais c'est le jeu et ça sera une expérience inégalée.

On traverse tous les trois le Sahara, magnifique mais hostile en rencontrant un nombre incalculable de barrages de police (ou moi ou Moustapha devons nous cacher dans la couchette arrière pour une question de "kart griz", j'ai pas tout compris). Aucun des deux ne parlent français et on se débrouille tant bien que mal avec mes quelques mots d'arabe, des signes de main et l'italien car Abdourahim a passé 30 ans en Italie (dont 1 en prison apparemment).

De temps en temps on s'arrête pour des pauses et ils me font goûter mes premières tajines et thés à la menthe. On dort (très mal) dans le camion sur une aire de camionneurs au nord de Laayoune, puis après un petit déjeuner typique (pain marocain avec de l'huile d'olive + thé a la menthe) c'est reparti. On peut difficilement rêver plus intense comme bain culturel et je me laisse porter, confiant !


Abdourahim nous lâche finalement avec Moustapha à un endroit inconnu proche d'Agadir, et moyennant deux taxis que négocie Moustapha (bizarrement c'est beaucoup moins cher comme ça) on arrive sur une place bondée, bruyante, sans dessus dessous et heureusement Moustapha est tellement gentil qu'il m'amène jusqu'à un hôtel en s'assurant que je ne paye pas un prix exorbitant.

Après ces deux nuits très mauvaises, je suis pris de doute mais après un appel réconfortant à la maison je m'écroule de fatigue...


Les jours d'après seront encore riches en découvertes : Moustapha vient me chercher le lendemain avec son ami Amin. On prend ensemble le bus jusqu'a "Laplaj". Superbe plage pleine de touristes venus surfer, avec au bout une marina luxueuse (où on nourrit les poissons avec du vieux pain) qui contraste violemment avec le quartier populaire où se situe mon hôtel ! On monte ensuite en bus à la Kasbah sur la montagne Oufla, seuls restes de l'ancien emplacement de la ville d'Agadir entièrement détruite en 1960 par un tremblement de terre. Super vue sur tout Agadir depuis là-haut, on y retrouve les touristes français montés en téléphérique. A la redescente, repas super typique avec les mains de poisson grillés. On galère à se comprendre mais on passe des super moments.

Je leur ai fait comprendre que c'était super important pour moi d'aller visiter un vélo trouvé sur internet (le bon coin marocain) et ils insistent pour m'accompagner. S'ensuit une grande aventure ponctuée de qui pro quo jusque la cité Hay Mohmedi. Je regarde rapidement le vélo et saute sur l'occasion avec Driss, qui parle très bien français : On conclut pour le vélo !! Rentrée vers chez moi en taxi alors que je ne sais pas du tout où est mon hôtel sur une carte... J'arrive tout de même à l'hôtel el Qods, Inezgane.

C'est un soulagement énorme de savoir que j'ai enfin mon vélo, j'en profite pour me reposer, visiter le souk en face de chez moi et toutes ces odeurs, bruits, couleurs. J'adore ! Je retourne voir la plage et j'apprends à connaître mon quartier et ses thés à la menthe, cafés tajines, Harira etc. En allant chercher le vélo, Driss me ramène en voiture : il est très sympa et intéressant. C'est un ingenieur agronome fan de voyage a vélo et plein de projets pour la retraite !

Moustapha est reparti à Essaouira mais je revois Amin : pour prendre un café en regardant le match de foot. Je voudrais boycotter ce mondial de foot au Quatar mais c'est difficile d'y échapper ici, et c'est un indispensable pour socialiser.

Même si je n'arrive pas à expliquer ces considérations écologiques en arabe à Amin (trop compliqué), notre tandem improvisé est très intéressant. Il apprend le français, moi l'arabe et quand il amène le sujet on arrive même à parler d'homosexualité ou de condition de la femme, même si mes explications de "religion de l'amour" et de "liberté, égalité, fraternité/sororité" devaient être bancales en arabe et loin de ses idées très pieuses et conservatrices. On tombe au hasard dans la rue sur un concert de Gnawa, la musique berbère typique de la région. De surprises en surprises, on apprend à mieux savoir se concentrer sur le positif qui est déjà là de partout, il suffit de savoir ouvrir les yeux !


Après le 2-0 du Maroc contre la Belgique, les rues s'enflamment tellement qu'on dirait qu'ils ont gagné la finale. C'est la liesse de partout et j'en profite avec Amin pour aller visiter " la Medina d'Agadir", réplique moderne artificielle de l'ancienne medina d'avant le tremblement de terre, par l'architecte italien Coco Polizzi.


C'est toujours de l'hôtel El Qods à Inezgane que je vous écris, avant d'aller faire les dernière réparations/révisions du vélo que j'ai décidé d'appeler Hulm (rêve en arabe) car ça faisait un petit bout de temps que j'espérais trouver aussi bien et aussi vite...

La suite ? Je ne sais pas encore, je passerai voir Moustapha à Aquermout proche d'Essaouira pour sûr.


Pour le reste on verra bien, inchallah.