Après plus de 1800 km de vélo et bien plus sur les mers et océans, c'est la fin d'une longue période d'apprentissage. Apprentissage d'un pays, sa langue avec des rudiments d'arabe marocain, sa culture, sa nourriture... Apprentissage du voyage à vélo : prévision des étapes, réparation de mon vieux tacot et ses rhumatismes, bricolages pour trouver des coins où dormir, l'exploration des médina, repérage des coins à bissara/harira/sfendj/melaoui et autres réjouissances du palais. Mais aussi et surtout apprentissage de l'adaptation, du lâcher prise quand on ne peut compter que sur soi-même.


Après le chapitre 5, me voilà requinqué et chargé de motivation, contaminé par la belle vision du monde de Hamid et sa vision critique de la société en général (les "plastic peoples"), marocaine en particulier.

Cette semaine à aider sur tous les chantiers avec les ouvriers marocains, en vivant avec eux le rythme de leur journées (travail/pause thé/travail/pause kif pour eux...) m'a apporté beaucoup de sérénité, des rencontres avec les voyageurs de passage et appris encore quelques notions de Darija (arabe marocain).


Ni une ni deux, je rentre au coeur de la médina de Fès, ruche tassée, pentue et compacte, marquée par deux rues principales et un dédale diabolique autour. Cette ville médiévale est bourrée d'histoire entassée entre les souks et magasins pour touristes : c'est exaltant autant que fatiguant. J'y laisse passer la pluie et m'éclate dans les souks avant d'attaquer les collines vertes du Rif. Ça ne pardonne pas pour les cuisses mais offre des paysages étonnants ! La première nuit de cette traversée sera à Karia Ba Mohammed après y avoir réparé deux rayons de la roue arrière : "l'autorité locale" qui, après avoir réquisitionné une voiture d'un pauvre passant pour m'emmener au réparateur de vélo, me propose (en fait m'ordonne) d'installer ma tente dans le jardin propre et surveillé de leur commissariat. Une occasion de plus de constater que la police et la gendarmerie ont, depuis un ordre du roi, obligation de chouchouter et protéger les touristes, ce qui est parfois gentil malgré leurs manières très autoritaires et bourrue de faire...

Je continue le chemin en me perdant dans les petites routes jusque Teroual, au milieu de rien et marquée par des canyons ultra verdoyants et des courtes vallées encaissées. Je demande à un petit magasin d'"alimentarion générale" qui accepte que je pose ma tente à côté, dans la légère pluie. Je serai ensuite forcé juste avant la cuisson de mes pâtes de bouger dans un salon de coiffure par le délégué de quartier.

La prochaine étape me voit descendre dans une plus grande vallée après Mokrisset pour rejoindre la route nationale. Je n'y trouve pas grand chose à Souk el Had, pas même de réponse de la mosquée neuve et vide, qui en théorie héberge temporairement quiconque le demande en tant que Daif Allah ou "invité de dieu". Qu'à cela ne tienne, je m'y installe et m'y aménage un petit nid temporaire dans une cage d'escalier restée ouverte.


J'arrive ensuite à Chefchaouen, tout de suite ébloui par cette médina bleue où je rencontre de chouettes personnes comme Moris, ce voyageur à vélo colombien. J'en profite pour faire marcher mes jambes sans prothèses de métal et randonner dans les belles montagnes autour; chiner tous les meilleurs plans pour boire et manger en me gavant de jus d'avocat et enfin prendre le temps de vraiment flâner et ne rien faire.

Le froid arrivant dans cette médina accrochée dans les montagnes, je décide de filer vers la côte au climat plus doux. Je fuis la neige d'abord à Akchour où je dormirai dans le camping familial de travailleurs dans les restaurants pour touristes. Encore de belles randonnées où je peux rencontrer longuement des touristes en marchant avec eux. Mais c'est encore trop froid : direction Targha où je retrouve avec émotion la mediterannée. Quelle joie, fierté de voir la côte espagnole !!

Sur la côte, tous les campings repérés sur internet sont fermés l'hiver, je pose ma tente dans un super coin sur la plage mais je serai délogé par la police, qui me déplacent vers un terrain vague à une centaine de mètres encore "pour ma sécurité".

Je pousse ensuite jusque Chmaâla et son petit port de pêche fermé.

Le décor est idyllique : les montagnes enneigées prennent racine directement dans la mer et ses plages de sable fin, il y a des airs de Corse. Je demande à tout le monde y compris le camping fermé, mais personne ne veut m'aider ou se mouiller d'une quelconque façon. Finalement un retraité qui a longtemps travaillé comme marin en Espagne m'invite un soir, et le lendemain soir, sous la pluie, par chance le gérant du snack à l'intérieur du port a un petit local professionnel avec lit et couverture !

J'entame le lendemain le retour vers Tanger en encaissant plus de 1300 m de D+ de petites collines nerveuses au dessus de la mer, et ce dans un vent à en faire rougir les alizés. Je suis donc complètement crevé et, pour éviter le sketch de demander à tout le village ou poser ma tente je reste dans un café ou le gérant malhonnête me demandera toujours plus d'argent, même après négociation finie.

Rien de grave : j'arrive le lendemain à Tetouan la blanche. Désorienté par cette minuscule médina à cheval sur la colline et aux contours peu clairs, je reviens à mes saines activités de marathon de bouffe de rue pour picorer toute la ville, ne rien comprendre à ce tout nouveau arabe marocain à la sauce espagnole, réparer Hulm etc. Alors que je prépare à mon dernier bout de route avant Tanger je reste cloué au lit une journée entière, n'ayant pas digéré une des spécialités trouvées dans la rue...


La dernière portion m'a offert une magnifique succession de collines (très) pentues bien que pas si hautes, et dès tapis de fleurs colorés qui crient déjà le printemps. Un changement intempestif de rayon, un super spot de camping sauvage dans la forêt et hop ! Tanger en vue. Encore beaucoup de symboles de voir de loin ce détroit traversé avec Paul et Flavie à la voile le jour de mes 27 ans.


Là, c'est un peu le drame. Comme on dit "Au nord, c'était les cor...ps de roue libre". Le corps de roue libre dont j'ai déjà parlé (pièce indispensable d'une roue arrière de vélo qui permet de pouvoir tantôt avancer, tantot laisser la roue tourne librement pour la descente) lâche son dernier soupir. Comme souvent en voyage en plus, la fatigue physique met dans un état de sensibilité extrême et on retrouve notre enfant intérieur, en passant du rire pour rien aux larmes de crocodile. Ça doit vouloir dire qu'on vit beaucoup...

Mais comme d'habitude, grosse galère = beaux rebondissements : après une séance de haute voltige d'un mécano (qui disque un autre corps de roue libre coincé sur un vieux moyeu pour y récupérer cliquets et ressorts), ce mécano Ayoub m'invite à dormir dans sa petite chambre, en faisant un peu de la traduction par téléphone grâce à son cousin super sympa qui habite à Toulon.


Malheureusement cette réparation ne fera pas le poids, et j'écume avec beaucoup d'inquiétude tous les réparateurs vélo de la banlieue de Tanger en ce moment même pour trouver remplacement à ce fameux corps de roue libre, voire toute la roue arrière.


Mais rien de tout cela n'a d'importance aujourd'hui, car je me dirige dans quelques instants direction l'aéroport, pour un tout nouveau volume de ces aventures. Fini le vagabondage solitaire, je serai maintenant accompagné et bien accompagné, avec Coline qui vient me rejoindre avec son tout nouveau vélo pour quelques mois !

Les choix, rencontres, joies et doutes, à partir de maintenant seront entièrement partagés. Cela promet beaucoup de nouvelles leçons de vie, et de beaux moments en perspective !